Distinguée par le prix Théophile Schuler 2016, Stéphanie-Lucie Mathern poursuit à travers verbe, musique et image, sa quête d’une œuvre d’art totale entre haute intensité et haute précision.
« Je ne fais pas quelque chose de décoratif » précise la toute jeune lauréate de la Société des Amis des Musées de Strasbourg, lors de sa première participation à l’exposition collective Archi-Paysage à la galerie Bertrand Gillig.
Pour elle, le geste pictural est de l’ordre d’une évidence se suffisant à elle-même – depuis ce qui signa l’apparition des hommes à eux-mêmes par la libération de la possibilité de l’image, voilà des millénaires, sur les parois d’un monde souterrain : « Ce qui ressort du geste, c’est le mouvement, l’énergie : il faut aller à l’essentiel et ne pas hésiter à déconstruire, à casser… C’est à chacun de nous d’insuffler quelque chose de l’ordre de la puissance et du dépassement dans ce que nous faisons, toujours avec cette idée de drôlerie, en restant dans la légèreté et l’élégance… »
Précisément, ses compositions ne manquent ni de drôlerie ni d’élégance, manifestant une manière de révélation par l’humour –à commencer par celui de ses titres comme L’homme spirituel est celui qui sait combattre en chemise de nuit ou Le chien est fidèle à l’homme et non au chien : « Tout est si lourd. On s’ennuie assez dans la vie… Alors, si en plus, on doit s’ennuyer dans les titres…»
Est-ce ainsi que s’éprouve le pouvoir d’une légèreté immense, « pour de vrai », comme sur un coup de dé abolissant le hasard et engageant la totalité de l’art, dans l’évidence de ce qui est, sans plus et sans rien ?
Variations de la révélation…
Dans une première vie, Stéphanie-Lucie Mathern se gorge d’expériences et d’impressions dans un village près de Wissembourg et de la frontière franco-allemande, tout en cédant à une aimantation vers Baden Baden, « une ville dissidente » avec ses thermes et son casino qui a accueilli tant de créateurs – avant de s’éveiller à la pulsion figurale et à l’énigme du pur jailli, le Reinentsprungenes de Hölderlin…
En ces terres de l’Outre-forêt, imprégnées par une forte culture industrielle qui mécanise les corps et dévoie la force de vie en « force de travail » de plus en plus inemployable, « la nuit n’est jamais silencieuse » et la jeune créatrice y cherche son esthétique – une quête permanente dans un labyrinthe existentiel, menée avec un esprit dandy assumé, qui la porte notamment, en littérature, vers les « Hussards » (Michel Déon à qui elle a dédié une notice nécrologique, Roger Nimier et son égérie ultime Sunsiaré de Larcone, etc.) : « Ils sont dans le geste tout le temps, dans la vitesse et la précision… J’aime aussi Houellebecq pour son côté éteint, son pessimisme dans ses poèmes et Montherlant pour son style royal. Je préfère l’homme en devenir à l’homme arrivé : il y a toujours quelque chose de moins intense chez l’homme parvenu… »
Elle s’imprègne des ambiances froides de ses terres du nord, tant du paysage que de ses bibliothèques, de musiques (Sibelius ou la cold wave) mais avoue aussi une inclinaison vers la peinture orientaliste et tout particulièrement vers le maître des peintres orientalistes Jean-Léon Gérôme (1824-1904), longtemps considéré comme « pompier » : « J’adore la période orientale de Delacroix… »
Elle écrit des articles dans des magazines culturels ainsi que de la poésie, chronique des concerts et pratique l’art du collage tout en avouant un roman dont elle diffère la publication – forant profond dans l’acuité des mots jusque là où ça « va de soi » : « J’ai beaucoup jeté mais je garde chevillé au corps le culte de l’auteur, le sens du bon mot ou de la bonne formule. J’ai été influencée par Dada, la déconstruction mais aussi les classiques et j’adhère à cette ambition de vouloir faire œuvre d’art totale… ».
Après les Beaux Arts, Stéphanie-Lucie Mathern fait une licence de théologie où elle lit les mystiques rhénans, multipliant les expériences du sens jusque là où se fondent matière et énergie : l’art ne pourrait-il pas prétendre à la succession de la pensée religieuse, pour peu qu’il en renie la dogmatique au profit de l’incertitude et de la quête ? L’art pour repenser la religion ou penser son dépassement ? N’y aurait-il pas une homologie à rechercher entre révélation religieuse et révélation poétique ou picturale, jusque dans cette intimité de la déchirure qu’est le sacré ?
Sa peinture épurée est gorgée de références, remontant à la source en passant par Caravage et Zurbaran, et d’innombrables lectures – elle est traversée aussi, on l’a compris, de musiques et d’écoutes des richesses de l’être qui en exacerbent les capacités de résonances jusqu’en des immensités peu explorées : « Je suis une éponge, j’absorbe et je rends. Mais il faut de la retenue dans l’intensité, sinon c’est le basculement… »
Une manière de se satisfaire de l’insatiable dans l’acceptation de cette puissance poétique qui nous crée dans la pure évidence d’un devenir à accomplir ?
« Mon style c’est l’opinel »
Exposition personnelle de Stéphanie-Lucie Mathern
Du 10 juin au 1er juillet 2017
Galerie Bertrand Gillig 11, rue Oberlin à Strasbourg
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