Beauté fortunée et somptueusement entretenue, Elisabeth-Ann Harriet Howard (1823-1865) a financé le retour du prince Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873) sur la scène politique française en 1848 ainsi que son coup d’Etat de 1851 instituant le Second Empire… Elle aurait été le « seul amour véritable » de sa vie…
Longtemps, la belle Harriett a cru que son prince l’épouserait. Mais l’ingratitude n’est-elle pas le fait des princes de ce monde – voire leur seconde nature ? Lorsqu’elle rencontre Louis-Napoléon Bonaparte lors d’une réception chez Lady Blessington (1789-1849), un beau soir de l’été 1846, celui-ci est un proscrit aux poches profondes se morfondant dans son exil londonien, après de pitoyables tentatives de coup d’Etat à Strasbourg et Boulogne-sur-Mer…
Alors que le pouvoir du roi Louis-Philippe (1773-1850) s’effrite, le parti bonapartiste manque de ressources et d’influence. Harriett Howard met aussitôt sa bonne fortune au service de la noble « cause » du prétendant au trône impérial de France, auteur de L’Extinction du paupérisme (1844)… Dans cette « union d’une demi-mondaine et d’un prince, c’est la première qui tient les cordons de la bourse » observe-t-on (1).
Longtemps, le seul atout politique de Louis-Napoléon Bonaparte était le souvenir de son oncle illustre – et le titre prestigieux qui va avec… Désormais, Miss Howard finance de ses deniers le retour du prince sur la scène politique : il y a non seulement ses campagnes électorales, mais aussi les journaux bonapartistes (L’Unité nationale, Le Petit Caporal, Le Bonapartiste, Napoléon républicain, Le Napoléonien, L’Organisation du travail) à arroser pour « capitaliser » sur la légende dorée… En tout, elle investit jusqu’à cinq millions de francs-or pour faire de lui, le 10 décembre 1848, le premier président de la République française, élu au « suffrage universel masculin » – et enfin le second empereur des Français…
La « favorite officielle »
Elisabeth-Ann Harriet naît en 1823 au foyer d’un cordonnier-bottier de Brighton – son grand-père y est propriétaire du Castle Hotel.
A l’âge de quinze ans, elle s’enfuit avec le jockey en vogue Jem Mason (1816-1866). L’année suivante, elle fait ses débuts au théâtre. Si sa jeune beauté fait l’unanimité (« une tête de camée sur un corps grec » dit « la critique »), son talent est bien moins convaincant sur les planches – où sa carrière tourne court… Reconvertie dans la galanterie de haut vol, elle passe d’un marchand de chevaux à un officier de la Garde royale et donne un fils, Martin (1841-1907), au major
Francis Mountjoy Martyn que celui-ci, marié, ne peut reconnaître. Mais le richissime officier de cavalerie consent à pourvoir aux besoins, quasi illimités, de la jeune mère…
En 1848, Miss Howard suit Louis-Napoléon à Paris, s’achète un hôtel particulier rue du Cirque, adjacente à l’Elysée, où le prince-président la rejoint le soir avant de s’éclipser au petit matin pour son palais…
Mais elle ne fréquente pas le palais présidentiel ni les salons parisiens – et n’est pas reçue chez la princesse Mathilde (1820-1904), son ennemie jurée, jadis fiancée à son cousin Louis-Napoléon…
Harriett accompagne le président dans ses déplacements en province, au théâtre ou à l’opéra – mais l’entourage présidentiel commence à s’offusquer de la présence de cette ancienne courtisane s’affichant en « favorite » officielle… L’affection que Miss Howard porte à son amant n’empêche pas ce dernier d’entretenir des relations intimes avec bien d’autres femmes comme les actrices Rachel (1821-1858), Augustine Brohan (1807-1887) ou Alice Ozy (1820-1893). Mais ces « écarts » d’homme de proie insatiable n’inquiètent pas la belle Harriett qui se croit irremplaçable… Elle participe (à hauteur de 200 000 francs) au financement du coup d’Etat du 2 décembre 1851 : devenu empereur, Napoléon III ne peut plus guère envisager une « mésalliance » et se met désormais en quête d’un « beau parti » approprié…
Alors que le coureur impénitent s’acharne à ajouter une jeune comtesse andalouse à l’interminable liste de ses conquêtes, celle-ci lui rétorque : « je ne suis pas née pour l’emploi des La Vallière »… La belle Eugénie de Montijo (1826-1920) le contraint à un siège de deux ans, suivi d’une demande en mariage faite en bonne et due forme…
C’est ainsi que Harriett cesse d’être indispensable pour devenir franchement embarrassante. Après l’annonce du mariage impérial en janvier 1853, son hôtel particulier est « visité » par des « cambrioleurs » qui emportent sa correspondance amoureuse …
Mais la désinvolture brutale ne saurait être, fût-on empereur, la meilleure façon de couper un lien vital avec la « compagne des mauvais jours » qui a financé la conquête du pouvoir. L’empereur rembourse à Harriett « avec intérêts et quelques millions en plus » (1), sur sa cassette personnelle, les sommes prêtées. En guise de réparation, il la dote d’une terre, d’un château et d’un titre de comtesse de Beauregard. Invitée à disparaître de l’entourage impérial, Harriett épouse Clarence Trelawny, un prospère éleveur de chevaux, mais l’union ne dure guère et elle s’éteint à quarante-deux ans, consumée par ses désillusions.
Napoléon III multiplie les conquêtes et l’impératrice, tout en se plaignant de n’être « maîtresse de rien », attend son heure pour la période de régence qu’elle pressent dans les langueurs exténuées de la fête impériale, pendant que le régime à bout de souffle tire sur les grévistes. Dans Le Rappel, Henri Rochefort (1831-1913) écrit en cette année terrible 1869 : « L’Empire continue à éteindre le paupérisme. Vingt-sept morts et quarante blessés, voilà encore quelques pauvres en moins. »
- Pierre Milza, Napoléon III, Perrin, 2004